Vamos campeones !
C’est un peu fébrile (une petite poussée de fièvre la nuit précédente qui, en l’absence d’autres symptômes, ne m’inquiète pas outre mesure) et après une préparation pas optimale (une gêne au niveau du pubis a freiné mes ardeurs et ne m’a pas permis de fractionner comme je l’aurais souhaité) que je prends le taxi pour Orly aux aurores en ce premier vendredi de décembre. Destination Valence pour « El Maraton des Maratones » avec mon ami Carl pour notre habituel week-end « marathon sans frontière » annuel. A destination, nous retrouverons Farid, ami d’enfance de Carl vivant sur place depuis quelques années avec sa famille. On croisera également, sans doute, Stéphane, sociétaire de la section et habitué de l’épreuve mais qui, en raison d’une blessure récurrente, part sans ambition particulière autre que de finir et de « pacer » des amies en sub 4.
A Orly, c’est déjà le choc : les voyageurs sont clairement là pour la compétition et on perçoit à leur physique affûté et à leurs propos surréalistes (« j’ambitionne 2h30 cette année ... ») que Valence est la destination des pros ou assimilés pour taper leur record personnel. Bref, on se sent un peu décalés avec Carl avec notre mantra « on y va pour finir ... si possible sur 2 jambes ». Seule une jeune femme devant nous à l’embarquement paraît ne pas être dans ce mood : elle écoute religieusement son compagnon qui lui parle de ses exploits passés et, outre qu’elle n’a pas aux pieds les runnings réglementaires, l’extrême finesse de ses jambes ne semble pas à même de la porter sur 42 kms. Erreur d’appréciation manifeste : j’apprendrai après la course qu’il s’agissait de la bretonne Marjolaine Nicolas, ovni récent du running (en couverture du supplément de l’Equipe quelques jours avant) qui achèvera l’épreuve en 2h33. D’ailleurs, elle avait fini 2nde féminine sur le 10km Lamotte auquel Briac, Arnaud et Françoise s’étaient mesurés lors du week-end rennais de la section en octobre dernier.
Autre surprise, le port du masque qu’on avait presque fini par oublier est de mise dans les transports espagnols : nous volons sur Vueling, nous devons donc porter cet appendice comme ce sera d’ailleurs le cas à destination dans le métro ou le taxi. On verra à l’issue du week-end que ce n’était pas une mesure inutile.
Arrivés à Valence, nous prenons possession de notre chambre en centre-ville, retrouvons Farid et son épouse pour déjeuner dans un restaurant de poisson avant de nous rendre sur le traditionnel village marathon, dans la zone culturelle et futuriste, de Valence pour récupérer dossards, goodies et autres souvenirs siglés. Une petite balade dans le rio asséché et viabilisé pour piétons et cyclistes notamment et nous rentrons pour une rapide pause pré-dînatoire. Ce soir, ce sera tapas en ville, dans un restaurant argentin, avec Farid et sa famille.
Le lendemain, nous nous levons tardivement et décidons avec Carl de sécher la paella party offerte par l’organisation pour profiter un peu de la vielle ville (la patrie du Cid) tant que nous avons encore des jambes. J’imaginais y croiser Stéphane et son crew mais ce ne sera que partie remise au lendemain. Carl et moi visitons le marché central, tombons en arrêt devant le prix des jambons ibériques (ça peut quand même aller jusqu’à 1000 euros cette « cochonnerie » !) et visitons quelques édifices caractéristiques comme la Loge de la Soie. Cela étant, nous restons focus sur le lendemain et ménageons la monture. Prévoyants, nous réservons également des vélos à côté de l’hôtel pour le lundi. Le soir, ce sera pâtes (on trouve des bons restos italiens partout), dernier préparatifs (accrocher le dossard, vérifier l’alimentation, ...) et coucher dès que possible même si on se doute que l’endormissement sera, comme d’habitude, long à venir.
Le jour J, je me réveille à 3h30 sans parvenir à me rendormir. Le dernier Michaël Connely, acheté à l’arrach’ à Orly, me permet de patienter avant l’ouverture du buffet du petit déjeuner. Puis je pars seul (Carl est dans le dernier sas avec Farid, alors que je m’étais inscrit avec les moins de 3h30) pour rejoindre tranquillement le départ. Le temps de déposer mon sac, de me délester de mes surcouches et de faire la queue aux urinoirs, et c’est l’heure du départ sous quelques gouttes (ce seront les seules).
Pris par l’habituel emballement initial, j’attaque à un rythme plutôt soutenu sur les bases d’un 3h30 que je sais ne pas pouvoir tenir jusqu’au bout. Dans les longues lignes droites où se croisent les coureurs, j’essaye d’apercevoir Stéphane, parti dans le sas suivant, mais je fais chou blanc. Arriverons-nous à nous croiser ? Tant pis, je me reconcentre et m’attache à ralentir un peu.
Est-ce ce départ trop rapide, le mercure qui grimpe ou autre chose (teasing ...) qui en est la cause mais, dès le 12ème km, je commence à ressentir des douleurs dans les cuisses qui interviennent habituellement beaucoup plus tardivement. La moyenne baisse un peu, je passe le semi en 1h47’29 et m’accroche même si j’ai l’impression de me faire doubler plus que je ne dépasse. Un Polonais me charrie en passant mais je me dis qu’il rigolera sans doute moins plus tard (je pense football mais il déchantera bien avant le coup d’envoi du 8ème de finale qui opposera nos deux nations dans l’après-midi).
Gardant à l’esprit ce que m’a inculqué Christian Juin il y a quelques années (« au-dessus de 4 heures, c’est la retraite »), je m’applique à calculer mon avance sur cet objectif sur la base d’un « reste à courir » au rythme de 6’ au km. Ça va, ça tient ! Et même plutôt bien même si les crampes ne sont pas loin. Un petit coup de bombe magique (placebo ?) vers le 35ème et je serre les dents jusqu’au passage devant l’hôtel peu avant le 40ème km. Il n’y aura pas de negative split cette année mais cette histoire pourrait quand même se finir en moins de 3h45 cette histoire si je ne traîne pas trop. Alors, sur les 2 derniers kilomètres de lignes droites, sous les « Vamos campeones » et les « Allez Benoïte » qui arrivent des bas-côtés très fournis, je donne ce qu’il me reste, laisse sur place le Polonais arrêté au bord de la route (crampes ? blessure ?), sprinte sur les derniers 800 mètres et, après 3h43 et 1 seconde d’effort, passe enfin la légendaire arrivée sur pilotis dans le bassin de la cité des Sciences.
Autour de moi, ça s’effondre, ça s’embrasse et ça pleure, et pas uniquement la gent féminine. C’est d’ailleurs étrangement communicatif et je réprime les larmes qui me montent également aux yeux. En attendant les autres, je m’improvise photographe pour quelques couples italiens et français puis, éprouvant le besoin impérieux de m’hydrater, je me dirige vers le ravitaillement final.
Médaille au cou, banane avalée, eau et gatorade ingurgités, je retrouve Carl qui tient à peine debout mais a égalé sa meilleure performance en 4h07. Je retrouve également Stéphane qui bien que disant souffrir le martyre a l’air assez frais. Il a d’ailleurs rempli avec succès sa mission de pacer et ses deux amies peuvent s’enorgueillir d’avoir « breaké » la barrière des 4 heures. Nous devisons tranquillement au soleil (on refait le match forcément d’autant que Stéphane a l’expérience du parcours) en attendant le reste de sa team « Love » puis nous dirigeons vers la sortie non sans avoir récupéré, comme prix de nos efforts, des kakis, du poulet en boîte et des brocolis à faire à la plancha (!). Après plusieurs séances photos dont une dernière pour immortaliser Stéphane et son équipe devant le pain-de-sucre indigo du célèbre Océonarium de Valence (le plus grand d’Europe), nous nous séparons au niveau de l’atelier gravure de médaille. Je me mets en route vers l’hôtel où Carl, reparti avec Farid, doit déjà se trouver. Il faut faire vite : dans à peine plus d’une heure nous devons être au pub pour le match France-Pologne. Je longe la dernière ligne droite et applaudis les ultimes concurrents éparpillés sur l’asphalte. Qu’importe la durée, ils seront arrivés au bout de leur rêve et cela force le respect.
Requinqués après la douche, mais manquant de courage pour faire les quelques mètres qui nous séparent de l’écran géant, Carl et moi nous écroulons sur nos lits et regardons tranquillement, en peignoir et sur nos smartphones, Mbappé martyriser Lewandowski et consorts avant d’aller boire quelques bières au Marché Colon et de filer dîner chez Farid (une délicieuse plancha sans brocolis). Je suis éreinté mais fait bonne figure jusqu’à m’écrouler dans mon lit peu avant minuit.
Le lendemain, nous récupérons nos vélos en boitillant (ça avait l’air beaucoup plus près de l’hôtel quand nous avons réservé) et nous promenons à un rythme de sénateur dans la ville et sur le bord de mer. Comme décrassage on a vu plus efficace mais ça reste moins douloureux que la marche.
Encore une nuit et un petit déjeuner pantagruélique, avec une tortilla exceptionnelle et quelques moqueries bon enfant entre concurrents aux jambes en ciment. Quelques achats (jambon, manchego, chorizo, piments, turron, ... et une valise pour mettre tout ça) avant de repartir et c’est déjà l’heure du départ, pile au moment où Marocains et Espagnols s’affrontent pour une place en quart. C’est d’ailleurs, alors que l’avion roule déjà sur le tarmac, que la partie s’achève sur la défaite aux tirs au but des Espagnols. Dans l’avion c’est calme (finalement, il y a surtout des Français) mais, à l’arrivée à Paris, notre taxi aura un peu de mal à trouver un chemin praticable pour éviter l’enthousiasme du public marocain.
Ce n’est que le lendemain, en accompagnant mes filles, cas contact de leur mère, à la pharmacie que, me faisant tester également (« regardez les enfants, c’est facile, Papa y arrive »), j’apprendrai que j’étais également positif au covid, sans doute depuis le début du week-end. Etant complétement asymptomatique, je ne peux pas certifier que cela a pu avoir une incidence sur ma performance mais je ne peux m’empêcher de penser que l’arrivée des douleurs aurait été retardée sans cela. Finalement, j’avais peut-être les 3h30 dans les jambes.
Mais, point de regrets : l’expérience fut belle et il faudra la retenter car, sur ce parcours ultra roulant, il y a vraiment moyen de faire quelque chose de beau.
Benoît.